• La guerre du Rif : le crime Européen.

    Dans un contexte de troubles au Rif, que certains fantasment déjà comme printemps Arabe Marocain alors qu’il n’en est rien, il m’a paru utile de revenir sur une des blessures profondément inscrites dans la mémoire du peuple de cette région : la guerre du Rif de 1921-1926. Il faut savoir que la version officielle des évènements est, comme d’habitude, non seulement trompeuse, parce que la France s’est évertuée à la faire passer pour une guerre défensive, mais également, édulcorée en terme d’exactions commises par les puissances coloniales en présence, que représentaient la France et l’Espagne.

    Dans cet article, qui constituera, si Dieu le permet, un préalable à la compréhension de l’actualité de la région Rifaine au Maroc, je vais m’attacher à vous livrer le déroulé des évènements le plus fidèle à l’Histoire, en m’appuyant sur les recherches que j’ai menées. Vous découvrirez, ainsi, l’ampleur du crime qu’a subi le peuple Rifain et qui aurait pu changer l’idée de ce que se font beaucoup de peuples Européens aujourd’hui du passé colonial, si on voulait un tant soit peu les instruire. 

    Le contexte

    Carte du Maroc avec le Protectorat.En 1901, suite à des conflits sanglants dans la zone frontalière entre l’Algérie et le Maroc, ce dernier conclut avec la France, par l’intermédiaire des ses deux représentants Abdelkrim et El Gabbas, un traité lui autorisant de poursuivre, sur le territoire du Maroc, les tribus coupables de maraudage1

    Or, comme par hasard, en 1904, suite à des incidents survenus avec des tribus dissidentes, des colonnes militaires Françaises mirent la zone frontalière à feu et à sang. 

    En effet, un accord secret a été conclu entre les pays Européens, notamment la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne pour se partager l’Afrique, sans, bien entendu, le consentement des peuples concernés. L’Allemagne, qui s’est considérée comme laissée pour compte dans ce partage, a donc publié cet accord qui n’est plus resté secret bien longtemps2

    Le Maroc était en effet un pays que lorgnaient alors plusieurs puissances, notamment l’Espagne, l’Allemagne et la France. Reconnu pour la richesse de son sous-sol principalement en gisements de phosphates, de minerai de fer, de zinc, d’étain, de plomb, de cuivre, de souffre, d’or et d’argent, ainsi que pour la fertilité de son sol, il constituait un territoire privilégié pour les investisseurs et les financiers qui sont, généralement, les principaux va-t-en guerre. Le territoire du Rif, dont l’Espagne héritera en novembre 1912 suite à l’accord Franco-Espagnol de partage à l’amiable du Maroc3, était particulièrement intéressant dans la mesure où, non seulement il concentrait toutes ces richesses, mais il était supposé contenir en plus du pétrole. 

    En 1916, après avoir passé près d’un an en prison pour avoir critiqué la pénétration espagnole dans le territoire du Rif, Abdelkrim Al Khattabi organisa, avec son frère, l’unification des tribus berbères locales4 pour la fondation d’une République Indépendante du Rif. Il entra en conflit avec les Espagnols, décidé à maintenir l’indépendance de la terre de ses ancêtres. Après une provocation du général Espagnol Manuel Fernandez Sylvestre, la bataille d’Anoual éclata. 

    Le déroulé de la guerre du Rif 

    La bataille d’Anoual éclate le 20 juillet 1921. Les forces en présence sont de 3000 hommes Rifains commandés par Abdelkrim Al Khattabi contre 60 000 hommes pour l’Espagne commandée par Manuel Fernandez Sylvestre. Grâce à la ruse, Abdelkrim parvint tout de même à vaincre les troupes Espagnoles en 2 jours, ce qui coûtera 18 000 morts et 24 000 blessés ainsi que 700 prisonniers à l’Espagne, contre un millier de morts du côté Rifain. En outre, les pertes matérielles de l’Espagne s’élèvent à 150 canons et 25 000 fusils. La victoire des Rifains retentit alors dans le monde entier5. Il est important de noter que, durant cette bataille, l’Espagne avait fait usage d’armes chimiques prohibées6, notamment du phosgène, du disphogène, de la chloropicrine. C’est pourquoi Abdelkrim, en personne, entreprit d’écrire à la Société des Nations - qui n’avait alors pas plus de pouvoir si ce n’est encore moins que l’Organisation des Nations Unies aujourd’hui - une lettre qui restera gravée dans les annales de l’Histoire dont voici quelques mots : « Est-ce que la réforme consiste à détruire des maisons en utilisant des armes interdites, est-ce qu'elle consiste à s'ingérer dans la religion d'autrui ou à usurper ses droits ? Ou bien n'est-elle qu'un mot pour désigner l'annexion de la terre des autres sous couvert de protection ? L'objectif de la protection est de préserver les droits et de protéger les sujets en question, et l'Europe peut constater à l'heure actuelle que nous avons besoin de quelqu'un qui nous protège contre l'agression de ce pouvoir qui s'attaque à notre liberté, notre indépendance, notre honneur et nos femmes. ». Il va sans dire que la SDN y a opposé une fin de non recevoir. 

    Fort de ce succès et de ce retentissement international, Abdelkrim Al Khattabi proclame en 1922 la République du Rif, première république issue d’une décolonisation au XXe siècle7. Il se montre comme un souverain éclairé mais épris de spiritualité : c’est ainsi qu’il fonde un Parlement constitué de chefs de tribus qui votent pour un gouvernement et se proclame commandeur des croyants et insiste sur le caractère musulman de l’Etat nouvellement créé. 

    En Espagne, en revanche, l’heure est à la complainte. En effet, suite à cette défaite cuisante, une crise politique retentit dans le pays, qui conduisit Indalecio Prieto à déclarer au Congrès des députés : «Nous sommes à la période la plus aiguë de la décadence espagnole. La campagne d’Afrique est un échec total, absolu et sans circonstance atténuante de l’armée espagnole ». 

    La guerre reprit de plus belle l’année suivante, lorsque l’armée Espagnole, forte de ses renforts dont les « regulares » et la Légion Etrangère Espagnole sous la direction du général Francisco Franco, s’engage contre les Rifains à Tizi Azza8. Ces derniers tuèrent, dans la bataille, le colonel Espagnol Rafael Valenzuela. L’Espagne monte alors en grade dans les hostilités et recourt aux armes chimiques dont elle avait fait usage durant la bataille d’Anoual ainsi que d’une nouveauté, fabriquée par un ingénieur Allemand du nom de Hugo Stoltzenberg : le gaz moutarde. Celui-ci fut largué au moyen d’une bombe de 100 kilogrammes par le général de l’aviation espagnole Hidalgo de Cisneros, depuis son Farman F60 Goliath dans l’été 1924, à l’est de Mellila. Les troupes d’Abdelkrim succombent9.  

    Hubert Lyautey, qui voyait bien que « Abdelkrim était trop occupé avec les Espagnols » et qui rêvait de poursuivre la conquête du Rif, sans doute par l’appât du gain que promettaient les mines du Rif, « se préparait à un moment où Abdelkrim ne pouvait pas réagir », selon les propos même de M. Vatin Pérignon, chef de cabinet civil de Lyautey. C’est ainsi que la France ourdit un véritable complot pour venir à bout des Rifains, avec la complicité de l’Espagne et des financiers qui l’ont appuyée depuis le départ. 

    En mai 1924, sous l’ordre d'André Maginot, lui même en office sous le gouvernement Poincaré, Lyautey alors résident de France au Maroc, attaque la tribu non soumise des Béni Zéroual, dans la vallée de l’Ouergha près de la frontière entre le Maroc « français » et le Maroc « espagnol ». Il y construisit une série (cinquantaine) de Blockhaus, afin d’empêcher les Rifains de venir s’y approvisionner en céréales et, donc, les affamer10

    Les journaux Français, qui avaient alors reçu leurs directives des membres du Gouvernement ainsi que du général Lyautey, se confondirent en mensonges pour berner la population, en affirmant que les tribus Rifaines auraient attaqué par surprise les troupes Françaises sur le territoire du Protectorat. D'ailleurs, cela constitue toujours la version officielle communément admise sur l'Histoire de cette guerre. C’est ainsi qu’on pouvait lire, dans le Journal « l’Avenir » : « si la France ne répond pas rapidement et victorieusement à Abdelkrim, elle risque de perdre d’abord le Maroc et ensuite l’Algérie et la Tunisie, c’est à dire, tout son empire musulman, sous la poussée d’un Islam réveillé et fanatisé ». Cette rhétorique ne vous rappelle donc rien ? 

    En effet, l’idée était déjà à l’époque de dénigrer l’islam et les musulmans, pour titiller les Européens dans leurs fantasmes de croisés. En effet, selon Pierre Sémard, « depuis le déchaînement de la guerre du Maroc, une ardente campagne est menée contre l’islam ». 

    D’ailleurs, le très « chrétien » général Lyautey, qui aimait son prochain comme lui-même et le coffre-fort mieux que quiconque, massacrait et torturait les tribus locales qui refusaient de céder à la corruption, tout en prétendant, dans ses discours politiques, vouloir « faire triompher l’Europe contre l’Afrique, et le Christ contre Mahomet »11

    Lyautey mena alors la guerre à la République du Rif. Après avoir forcé les tribus terrorisées par les massacres et la torture à rejoindre les troupes Françaises, ces dernières, lassées par les supplices physiques, se retournèrent contre eux et rejoignirent Abdelkrim Al Khattabi. 

    En octobre 1925, l’Armée Française, dirigée par le général Philippe Pétain, fut défaite et 10 000 soldats Français tombèrent, mais Lyautey était plus que jamais déterminé et répétait à qui voulait l’entendre qu’il poursuivrait la guerre, peu importe ce que cela lui en coûterait12

    La France s’allie alors à l’Espagne, à travers un accord conclu avec… Miguel Primo de Rivera13, qui déclarait publiquement que le « Maroc n’offrait aucun avenir à l’Espagne » ! Mais il faut dire que dans son désir d’assoir son régime dictatorial, il tenait à recueillir les faveurs de l’armée, dont les officiers carriéristes voyaient dans une éventuelle victoire de l’Espagne sur le terrain Marocain une opportunité de monter en grade. 

    Las des combats, Abdelkrim Al Khattabi fit néanmoins une proposition de paix pour le moins inattendue et très alléchante dont voici les 3 points principaux : 

    • autonomie du Rif avec soumission en matière religieuse à l’autorité du Sultan, 
    • fixation de la frontière,
    • autorisation pour les étrangers d’exploiter les richesses minières du Rif en payant au gouvernement Rifain une redevance de 20%. 

    Or la proposition est refusée en automne 1925 à cause des exigences des colons Européens.

    C’est ainsi qu’en mai 1926, un plan de débarquement à Al Hoceïma, dressé par le général Lyautey et remis à Primo de Rivera, prévoyait une action simultanée des troupes Françaises et Espagnoles, respectivement dirigées par Philippe Pétain et José Sacanell, à l’encontre des Rifains. Ces dernières, toujours armées de leur attirail chimique, finirent par repousser les Rifains et prendre le mont Jabal Aberkan, nid d’aigle d’Abdelkrim Al Khattabi. Le 30 mai 1926, celui-ci se rendit à la France14, pour éviter l’extension de la guerre chimique et le massacre de sa population, mais en dépit de cela, la France et l’Espagne poursuivirent leurs bombardements, portant le bilan de morts civils à 150 000 depuis 1925 et faisant des Rifains les premiers civils gazés massivement dans l’Histoire15.

    Abdelkrim Al Khattabi fut condamné à l’exil à l’Île de la Réunion en 1926 d’où il s’évada 20 ans plus tard, pour finir sa vie en Egypte. 

    Jusqu’à aujourd’hui, ni la France ni l’Espagne n’ont reconnu les crimes de guerre manifestes qu’ils ont commis dans le Rif, à cette période. Nous verrons les enjeux qu’il y a derrière cette reconnaissance dans le prochain article où nous étudierons la question du traumatisme des Rifains s’agissant des conflits successifs qu’ils ont subi. 

    Références  

    1 - La guerre du Rif, Pierre Sémard, 1926.

    2 - La Conférence de Berlin, 1884-1885. 

    3 - La Convention de Madrid, 1912.

    4 - Etudes et documents berbères, volumes 25 à 27.

    5 - Les désastres coloniaux, Jean-Paul Charnay, 2007. 

    6 - Armes chimiques de destruction massive sur le Rif, Mimoun Charqi, 2014. 

    7 - Abdelkrim le Lion du Rif, Ahmed Beroho, 2003.

    8 - Rebels in the Rif : Abdelkrim and the Rif Rebellion, David S. Woolman, 1968. 

    9 - Cambio de Rumbo, Hidalgo de Cisneros, 1961.

    10 - La guerre du Rif, Pierre Sémard, 1926. 

    11 - Ibid. 

    12 - Ibid.

    13 - Conflict and conquest in the Islamic World : a Historical Encyclopaedia, Alexander Mikaberidze, 2011. 

    14 - Les 100 portes du Maghreb, Akram Ellyas et Benjamin Stora, 1999. 

    15 - Maintenant tu es mort. Le siècle des bombes, Sven Lindqvist, 2002.

     

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :